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Le BLOG de l'AUTRE, c'est un endroit où seront publiés les RÉCITS de mes petites AVENTURES plus ou moins véridiques, ARRANGÉES, remaniées. De petites FICTIONS. Et peut-être, même quelques ARTICLES politiques à mettre ou à REMETTRE dans le contexte de l'ÉPOQUE. Mais aussi mes IMAGES… comme mes DESSINS, ma PEINTURE, mes PASTELS, zé mes PHOTOS.

08 Jun

Autres choses N°4/bis : Journal intime d'une table de bistro... (Version longue)

Publié par J-F l'Autre  - Catégories :  #Autres choses

Autres choses N°4/bis : Journal intime d'une table de bistro... (Version longue)

Coucou les gens, là tout de suite, je n’ai pas idée de la date. Elle change tout le temps, un soir là-bas et ce soir ici, à Quéven. Par contre, je sais qu’on est dimanche, un dimanche parmi d’autres. Là, de suite... j’vais vous conter un passage de ma vie... d’un autre dimanche… Vous n’savez pas vraiment qui ch’uis mais vous savez que j’ai passé ma vie dans un bistrot, c’tait écrit sur l’affiche…

Il en résulte qu’j’n’ai jamais été très policée. Ahahah.

 

Café de la Place, Plouharnac’h

Un dimanche : 10h45. (23 juin 1968)

 

La grande porte vitrée s’ouvre, ding, dong…

Tien c’est l’aut’e con qui vient d’entrer. Il va choper le journal sur le bar, "le lire" comme il dit, m’enfin c’est tellement vite fait, qu’je suis sûr qu’il ne regarde que les images. Après, tu vas voir, il va s’installer. Ouvrir "son" canard. Ouais, ouais, il dit ça, "son canard". Il ne dit pas bonjour. Rien. Tu le vois qui s’installe comme si c’était le patron.

Heureusement le dimanche matin, c’est la mère Deline, qui ouvre le "Café de la Place". Son prénom, c’est Adeline mais depuis sa naissance tout le monde l’appelle comme ça : Deline... la Deline.

L’patron, c’est André son fils, que tout le monde connaît comme "Dédé l’arsouille". Faut dire que l’André, il tient la boutique en semaine. Mais le dimanche… y peut pas !!! Beennn comme d’hab, le samedi soir… il s’en prend une sacrée.

Ahahaha… hier soir... laisse tomber...

Bref, l’autre con est assis sur sa chaise, une fois qu’il a balancé le canard sur la table, il cherche par terre le sous bock qui sert à me caler, sinon je suis branlante.

J’suis un peu de mauvaise fois quand j’dis qu'il ne dit pas bonjour… y'a personne. Il ne va pas dire bonjour au mobilier : chaises, bancs, tables, percolateur, pas non plus à la vaisselle...

On le prendrait pour un toqué, s'il arrivait en me claquant deux bises sur ma vielle carcasse de formica décrépit en lançant à la cantonade : – Hèèè, salut l'Ancienne… Smack…. Smack… Tu vois l’image ?

Ch’uis à peine calée, le journal étalé, la Une sur le dessus que la tasse de café se pose sur moi, à droite du journal.

La Deline – silencieuse – me surprend presque à chaque fois. On dirait qu'elle marche à cinq centimètres du sol.

C'est drôle, le dimanche, dans la boutique y'a personne à part l'aut'e con.

Ouaaais, il a un nom ce con et c'est Léon. C'est moi qui l'ai surnommé ainsi (On rigole avec les mobiliers) mais c'est affectueux.

J’l'aime bien ce con de Léon, comme la Deline, elle l'aime bien le Léon. Tous les habitués savent bien qu'entre eux, il y a "chaise sous table". (C'est notre manière de dire "anguille sous roche" en langage Mobilier.)

Quand ils sont seuls ces deux là, j’vois bien comment ils se regardent. ils en pincent vraiment l'un pour l'autre. Sûr qu’c’est plus qu’un "cinq-à-sept", du dimanche.

Pour l’instant, elle bosse, elle s’active pour que tout soit prêt à onze heures.

Quand leurs regards se croisent, ils ont les yeux clignotants.

Ils essayent d’être discrets, en attendant de se revoir presque secrètement l’après-midi, ici même, lorsque les rideaux seront tirés.

Faut qu'ils profitent d’ce délicat moment, du dimanche matin – l’apéro sentimental – avant l’coup de feu pour encore mieux apprécier l’après midi…

Qui s’il fait beau, iront se promener en campagne jusqu’à se trouver un petit coin bien planqué, bien moussu et à l’ombre pour regarder distraitement l’envers des feuilles.

Qui s’il fait un temps à ne pas mettre une bergère Louis XV dehors, resterons à l’intérieur avec nous : mobilier et accessoires, bien au sec et au chaud. Ici les banquettes et même parfois, le parquet tout juste briqué, leurs seront agréables pour étudier les fissures du plafond ou les dessous de table.

J’n’aime pas trop quand ils roulent sous mon plateau, j’ai un peu l’impression qu’ils me volent de mon intimité.

Mais cela ne te regarde pas… Public !

Plus que dix/douze minutes et ce s’ra l'heure d’la messe...

Dans l’troquet ce sera la cohue.

Les hommes auront déposé les femmes de l'autre coté de la place, sur le parvis de l'église avec les mômes. Ils auront une bonne heure de liberté chez nous pendant qu'à la messe monsieur le curé s'occupera d’leurs légitimes et d’leurs gosses. Bien sûr, l’calotin s’occupera particulièrement d’la dizaine d’culs bénis, d’bourgeoises et bourgeois d’la paroisse qui ont bien besoin d’se faire pardonner leurs montagnes de pêchers.

Maitresses et amants, qui couche avec qui. Qui est l'enfant de qui. Comment untel à fait fortune. Quelle famille a le plus exploité ses ouvriers, ses métayers. Plutôt, ses esclaves et serfs. Qui à volé et à qui. Qui est le père de tel bâtard ou de telle bâtarde. J'en aurai à raconter car qui se soucie d'une vieille table en Formica.

J'entends même ce qui se dit juste à coté, dans la cabine téléphonique.

Des mots d'amours, ouais, certaines fois, c’est beau comme le crissement d’une plume écrivant une ode à l’être aimé sur une peau de veau mort-né*.

Tout comme les engueulades et les complots qui mettent de la saveur, du piquant à nos existences que l’on pourrait penser mornes, dénuées de vie.

T’imagines pas.

Ce que je me la pète ce soir… Y’en que pour moi…

Hey ho, ho-ho, mais tien, c’n’est’y pas la Françoise... là bas derrière, bien planquée dans le noir : quatrième rang, huitième place, travée du milieux.

C’était une sacrée bourgeoise… qui dés qu’son fayot de mari partait en mission… Humm,Humm…

T’es venue voir, écouter ce qu’une vieille table de ta paroisse pourrait raconter.

Allez, Françoise… t’inquiètes, en souvenir du bon temps passé ensemble au fond d’mon bar, j’ne dirais rien… pas même ton vrai prénom, ni ceux de tes… comment dire… galants, oui c’est bien le mot qui convient : galant.

Et oui, je suis dans ce Bistro depuis tellement longtemps que je connais tous des petits, des grands et des gros secrets du coin et même d'ailleurs.

 

Allez, c’est tout pour aujourd’hui…

À la revoyure…

 

*vélin : Peau de veau mort-né (ou d'un autre animal, comme l'agneau ou le chevreau), préparée pour l'écriture, l'illustration, l'imprimerie ou la reliure, plus lisse et plus fine que le parchemin ordinaire.

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